Gildas Bourdais sur le livre "Un fait maudit" de Thibaud Canuti.

Par Le 28/03/2020 0

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Quelques notes sur le livre de Thibaut Canuti

Un fait maudit. Histoire originale du phénomène ovni. (JMG, 2007, puis 2019)


 

Thibaut Canuti est un auteur et ufologue connu et apprécié. Un livre intéressant est actuellement en vente ; Un fait maudit. Histoire originale du phénomène ovni. Il est arrivé en librairie au début de l’année, daté de 2019, mais on m’a signalé que c’est une réimpression de la première édition en 2007.

Si la première partie est classique et de qualité, la seconde partie, à partir de 1947, pose problème. En effet, il y a des mises à jour à faire, au moins sur le dossier de Roswell, assez détaillé dans le livre, dossier qui a beaucoup évolué ces dernières années, Je vais maintenant l’expliquer, je le connais bien. Canuti recommande d’ailleurs la lecture de mes livres sur Roswell (à la page 253), et je l’en remercie. Je rappelle cependant les deux plus récents, parus justement après 2007, que l’on peut encore se procurer facilement :

Le crash de Roswell (JMG, 2009, 390 pages)

Roswell : la vérité (Presses du Châtelet, 2017, 270 pages), écrit pour un plus large public, à la demande de l’éditeur Jean-Daniel Belfond.

Quelques critiques sur Roswell

Le dossier de Roswell est difficile. Il a été critiqué de manière souvent virulente, et mis en difficulté par un certain nombre de faux témoignages et de fausses pistes. Je pense cependant que plusieurs chercheurs ont beaucoup progressé ces dernières années, en particulier Thomas Carey et Donald Schmitt. Leur livre Witness to Roswell, publié en 2007 avec succès, a été réédité rapidement en 2009 pour y intégrer notamment des témoignages que l’éditeur, plutôt sceptique au départ, avait laissés de côté, comme me l’ont expliqué les auteurs, que je connais et que j’ai rencontrés plusieurs fois. Ce livre est aujourd’hui la version de Roswell la plus reconnue dans l’ufologie américaine, et je m’en suis inspiré dans mes livres cités plus haut. Il n’est pas traduit en français, mais c’est le cas, en revanche, d’un nouveau livre des mêmes auteurs qui renforce le premier : Les enfants de Roswell, paru en 2017. Lecture recommandée, bien entendu. Citons également leur livre sur la fameuse base de Wright-Patterson, dans l’Ohio, où furent acheminés, selon plusieurs témoins crédibles, l’ovni et les cadavres de Roswell, et non pas sur la Zone 51 comme on l’a souvent raconté, d’où le titre : Inside the Real Area 51.The secret history of Wright-Patterson (New Page Books, 2013).

J’en viens à une critique importante. Thibaut Canuti rend hommage aussi à ces auteurs, mais il n’a pas pu intégrer les intégrer dans son livre paru juste avant le leur. Il s’inspire plutôt du livre du lieutenant-colonel Philip Corso, The Day After Roswell, paru en 1997. On le constate dans le résumé de Roswell par Canuti, à la page 398,où l’on reconnaît la version du livre de Corso, exposée dans le premier chapitre. Or celui-ci, écrit en fait part son coauteur William Birnes, reprenait, en l’enjolivant, le récit de deux témoins sur lesquels reposait le deuxième livre de Kevin Randle et Donald Schmitt, paru en 1994. Hélas, ces deux témoins, Frank Kaufmann et Jim Ragsdale, ont été mis en doute assez vite, y compris par Randle et Schmitt, en 1996... Ceux-ci ont découvert dans les papiers de Kaufmann qui venait de décéder, qu’il avait fabriqué de faux papiers militaires ! Dès juillet 1995, Stanton Friedman, que j’avais rencontré à Roswell, m’avait fait part de ses doutes : « Je viens de m’entretenir avec Frank Kaufmann, Je ne crois pas un mot de ce qu’il m’a raconté. C’est un bonimenteur new-yorkais ! » C’est ce genre de difficulté qui tend à jeter un doute sur les meilleures enquêtes, et par extension sur toute l’affaire de Roswell. Stanton Friedman, lui aussi enquêteur de qualité, avait été également handicapé par un faux témoin, Gerald Anderson, qui l’avait entrainé sur une autre piste fragile, celle de la plaine de San Agustin. J’ai raconté tout cela depuis longtemps dans mes livres, mais revenons au livre de Canuti.

Selon cette version de l’événement racontée par Kaufmann et Ragsdale, les militaires de Roswell auraient repéré très vite le crash de l’ovni et en auraient aussitôt pris le contrôle, comme le raconte à son tour Canuti : « Dès le 3 juillet, l’armée de l’Air parvient à boucler les lieux et récupérer l’épave et les corps … » (p. 398). Je regrette de devoir insister, mais si cette version était la bonne, toute la suite de l’histoire serait bancale : le célèbre communiqué de presse du 8 juillet au matin, une véritable bombe, démenti de soir même avec une histoire ridicule de ballon météo !

En fait, dans le scénario de Roswell, tel qu’il a été reconstitué, difficilement, au fil des années, les militaires n’ont découvert l’ovni et les cadavres que le lundi 7 juillet, en même temps que fameux champ de débris de Brazel, mais sur un site plus proche de la ville de Roswell. Ce fut alors, le 8 juillet, une journée intense à la base de Roswell, ainsi que toute la semaine qui suivit, maintenant reconstituée avec de nombreux témoins. Je l’ai racontée en détail dans mes livres, avec le communiqué de presse à midi et le démenti du soir, une fois les deux sites bouclés, puis soigneusement nettoyés les jours suivants. Le communiqué de presse était peut-être leur « plan B » pour faire bonne figure en cas de fuites non contrôlées. Signalons au passage une autre confusion, gênante, de Canuti : le colonel Blanchard se trouve rétrogradé à plusieurs reprises au grade de commandant, alors qu’il n’allait pas tarder à être promu général et atteindre le sommet de la hiérarchie de l’Air Force. Preuve, incidemment, que son communiqué de presse n’était pas une boulette.

Encore un mot sur le livre du lieutenant-colonel Corso, paru en 1997. Je l’avais rencontré à la conférence de Saint-Marin de 1998, où il était venu. Il m’avait fait une bonne impression et je l’avais soutenu sur le forum UFO Updates où il était bombardé de critiques. Malheureusement, l’une de ces critiques a été désastreuse pour sa crédibilité : il avait obtenu une préface élogieuse d’un sénateur important, Strom Thurmond, mais sans lui dire que son livre était sur les ovnis et Roswell. Quand celui-ci l’avait découvert, il avait été furieux et l’avait obligé à retirer cette préface dans une réédition. Pour ma part, j’avais alors cessé de le défendre sur le forum. Par la suite, Kevin Randle, l’un des meilleurs enquêteurs sur Roswell, m’a cité en exemple (avec ma permission) d’ufologue capable de changer d’avis ! C’est écrit dans son livre Roswell Revisited paru en 2007. Malheureusement, les lecteurs du livre de Corso dans sa version française, publiée vingt ans plus tard avec succès, sont rarement au courant de cette polémique et continuent à s’emballer pour le livre…

Thibaut Canuti cite un bon nombre de documents militaires sur les ovnis, et sur Roswell en particulier. C’est une bonne approche, mais je relève, là aussi, une confusion entre les trois principales publications du Pentagone sur Roswell, que je crois donc utile de préciser ici. Ce sont :

  • La première communication, de 23 pages, en juillet 1994, signée par le colonel Richard Weaver, et intitulée Report of Air Force Research Regarding the « Roswell incident ».

  • Le gros pavé d’environ un millier de pages publié en octobre 1995, intitulé The Roswell Report. Fact versus fiction in the New Mexico Desert. C’est surtout une documentation sur les ballons de l’époque, qui commence par la reproduction du document de 1994. Cette lourde compilation a été assemblée par le colonel Weaver et le lieutenant James McAndrew, et publiée par le Pentagone en octobre 1995. 

  • Le deuxième livre du Pentagone, publié en 1997 (231 pages), intitulé The Roswell Report. Case Closed, du même James McAndrew, promu capitaine, et préfacé par la secrétaire de l’Air Force Sheila Windnall : un document important, donc, aux yeux du Pentagone, mais pas pour les chercheurs sur Roswell qui ont bien ri de la thèse principale du livre selon laquelle les témoins ayant vu des cadavres avaient vu en fait des mannequins en bois pour essais de parachutes !

Dans son livre, Thibaut Canuti reproduit la couverture de ce livre de 1997 (à la page 280) mais en le datant de 1995, et il confond donc peut-être les deux livres. Il accroit la confusion en citant, à la même page 278, la seconde étude de 1995 dite « Rapport Weaver » (je ne sais pas où il a trouvé ce titre). Il fait alors une citation de ce rapport, mais en indiquant la page 2 qui est celle de la première publication de 23 pages en 1994. J’ai mis du temps à la retrouver car elle est bien reproduite dans le gros livre de 1995, mais à la page 10 ! Cela dit, il y a là une critique intéressante de Canuti. Le paragraphe cité prétend réfuter l’affirmation selon laquelle on a reproché à l’armée d’avoir caché l’incident de Roswell durant quarante-sept ans. Canuti y voit là une grosse erreur et une malhonnêteté car, en fait, l’histoire était restée enterrée jusqu’en 1978 et donc, avant cette date, on n’en parlait pas du tout. Cet argument est intéressant mais me paraît tout de même fragile car il s’agit peut-être seulement d’une maladresse dans la rédaction.

Le débat véritable a pris de l’ampleur, en 1994, quand cette note de l’Air Force, écrite en premier lieu pour répondre aux questions posées par le député Steven Schiff en février 1994 au GAO (la commission d’enquêtes du Congrès), a commencé à parler du train de ballons « Mogul » qu’on aurait pu prendre pour une soucoupe, selon cette note. Cette hypothèse selon laquelle un train de ballons « Mogul » aurait été lancé à White Sands et aurait atterri sur le ranch Foster du fermier Brazel, a été mise en avant également, dans le même temps, par deux auteurs, Karl Pflock, ancien dirigeant à la CIA, et le professeur à la retraite Charles Moore qui avait participé à des lancements de ballons à White Sands en 1947. Elle a été vite relayée en France, notamment en 1996 par Pierre Lagrange dans son livre La rumeur de Roswell, plus que discutable selon moi (voir mon article sur mon blog http://bourdais.blogspot.com). Elle a été longuement étudiée et débattue par des chercheurs américains pointus comme Kevin Randle, Brad Sparks, David Rudiak et Robert Galganski. Cette polémique a mis en évidence les nombreuses faiblesses de cette thèse Mogul et elle a abouti à son rejet par quasiment tous les chercheurs sérieux, dans les premières années 2000. Elle a encore cours, cependant, dans la grande presse, mais ce n’est pas le cas, il faut le souligner, de Thibaut Canuti qui tient pourtant Lagrange en grande estime dans son livre.

J’ai participé moi-même à ce débat sur Mogul, notamment sur le forum « UFO Updates » et je l’ai exposé dans mon livre de 2009, qui résumait une étude plus complète dans mon livre de 2004 Roswell, enquêtes, secret et désinformation. En fait, quelques arguments simples permettent d’écarter très vite cette histoire de ballons-météo. Mogul n’était rien de plus qu’un assemblage d’une vingtaine de ces petits ballons, avec quelques instruments : pas de quoi provoquer le communiqué de presse de Roswell ! Quant aux cibles radar montées sur baguettes de balsa, censées avoir trompé les aviateurs d’élite de Roswell, elles étaient si fragiles qu’on les avait vite remplacées par une sonde radio. Bonne modernisation. De sorte qu’aucun train de ballons Mogul n’avait été lancé avec ces cibles ! Autre constat très simple : il y avait eu une violente explosion sur le ranch de Brazel, or des ballons gonflés à l’hélium n’explosent pas. J’avais rencontré Karl Pflock au congrès du Mufon en juillet 1995 et je l’avais obligé à l’admettre, mais il a continué ensuite à soutenir cette invraisemblable histoire de ballons, notamment dans un livre de 331 pages, paru en 2001, qui été traduit en français et publié en 2007, avec préface de Pierre Lagrange, sous le titre Roswell. L’ultime enquête. Quelle imposture ! Encore un mot sur Karl Pflock. Il y avait dans le pavé d’un millier de pages de l’Air Force un entretien de l’auteur Richard Weaver avec un témoin de première qualité : l’ancien capitaine Sheridan Cavitt, devenu lieutenant-colonel à la retraite, qui avait accompagné le commandant Marcel sur le terrain de Brazel les 6 et 7 juillet 1947. Weaver, malgré son insistance, n’avait pu lui faire dire qu’il avait trouvé un tel train de ballons. Cavitt s’en était tenu à la version initiale d’un seul ballon météo avec sa cible radar. Weaver lui avait alors demandé s’il connaissait Karl Pflock. Oui, il le connaissait, et il avait fait ce commentaire ironique « Je l’aime bien, c’est notre meilleur debunker ! » (« He’s our chief debunker. I lean toward him »).

On mesure déjà, sur ce dossier Mogul, la longue polémique de Roswell, et il est heureux, je le répète, qu’un auteur comme Thibaut Canuti se prononce maintenant en faveur de la thèse du crash d’un ovni. A qui sait attendre …

Arrêtons-nous un moment sur une autre polémique qui a empoisonné l’affaire de Roswell, celle du film de l’autopsie supposée d’un extraterrestre de Roswell, divulguée en 1995 par Ray Santilli, un petit producteur de musique londonien, et diffusée dans le monde entier, en France par Jacques Pradel à TF1. Même ceux qui ne savent rien de Roswell se souviennent sans doute du « scandale de l’autopsie ». Il se trouve que je finissais d’écrire mon premier livre sur Roswell, et j’avais été invité à son émission en octobre. Ainsi, je me suis trouvé embarqué dans la violente polémique qui a d’ailleurs coûté son poste à Pradel. Je pense que l’on a été très injuste avec lui car j’ai pu voir qu’il avait bien travaillé avec son assistant Nicolas Maillard. Des propos très cruels ont été tenus dans les médias. Je pense par exemple à une émission sur Arte, où l’historien réputé Paul Veyne (accompagné de Lagrange), avait qualifié le film de « grotesquerie ». Thibaut Canuti dit presque la même chose, le qualifiant de « faux grotesque » (page 324). Pour ma part, je persiste à penser, comme je l’ai argumenté dans plusieurs livres, que ce n’était pas un vulgaire canular, mais au contraire une opération sophistiquée de debunking opérée par les militaires américains contre Roswell. Plusieurs témoignages crédibles vont dans ce sens. Des Anglais racontent encore aujourd’hui que c’étaient eux qui avaient fait ce film, sur commande de Santilli, mais ils n’en ont jamais apporté la moindre preuve. Une photo de tournage de l’équipe autour du faux cadavre aurait pourtant suffi, mais ils n’en avaient pas, ce qui montre bien qu’ils n’étaient pas les auteurs du film. Cet épisode de l’autopsie illustre, lui aussi, la grande difficulté du dossier de Roswell. Si l’on avait voulu le démolir, on ne pouvait pas faire mieux.

Je voudrais dire encore un mot sur un autre aspect, à mon avis plus intéressant, du livre de Thibaut Canuti, qui est un exposé détaillé de la question des fameux documents « Majestic 12 ». Sur ce chapitre, je ne suis pas loin d’être d’accord avec lui : il n’y a pas de preuve de l’authenticité de ces documents, leur origine n’est pas claire du tout, mais il vaut la peine de les lire car ils contiennent beaucoup d’éléments très intéressants. Il me paraît très probable qu’un tel comité hautement secret ait été créé dès 1947, à la suite du crash de Roswell. Mais, il y a eu ces derniers temps toutes sortes de « révélations » fracassantes qui peuvent être de la « désinformation amplifiante », ou tout simplement des impostures, et dont il faut se méfier. Remercions néanmoins Thibaut Canuti de remettre tout cela sur la table : nous n’avons pas fini d’en discuter.

Gildas Bourdais, avril 2020.


 

 

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